Ce mercredi sort “La Nuit a dévoré le monde”, un très beau film d’auteur et de zombies réalisé par Dominique Rocher et adapté du roman de Martin Page (aka Pit Agarmen). Lors du festival de Gérardmer, on avait discuté avec les deux hommes. Rencontre.
AlloCiné : La Nuit a dévoré le monde, c’est d’abord un roman. Comment est née l’idée du roman, dans un premier temps, Martin, et Dominique, d’où est venue l’envie d’en faire un film ?
Martin Page (aka Pit Agarmen) : En fait, c’est super compliqué l’idée du roman ! (rires) A l’époque, je me retrouvais sans éditrice et par ailleurs, ma vie personnelle était assez agitée donc c’était un peu la tempête. C’était le moment de faire le point et je me suis dit : “Attention, je ne veux pas devenir une caricature de moi-même.” J’ai pensé que c’était le bon moment pour me reconnecter à ce qui m’avait donné envie d’être écrivain, c’est à dire la littérature classique, mais aussi la littérature de genre, qui avait été primordiale dans mon plaisir de lecteur. Ca faisait dix ans que je publiais et alors même que les zombies et les vampires étaient des êtres familiers pour moi, ils n’apparaissaient pas du tout dans mes livres. Quand on est écrivain, il y a un truc qui nous pousse un peu à aller vers le respectable et c’est un piège. Je me suis dit que j’allais m’inventer un double, parce qu’il y a une vraie tradition littéraire du double et ça m’intéressait, j’ai donc créé ce personnage de Pit Agarmen et jai écrit ce roman, où je me lâche, je parle de mon art, de la littérature, avec un côté aussi très misanthrope. In fine, ce n’est pas si différent de mes autres romans, mais sous l’identité de Pit, je pouvais parler de choses très personnelle de manière beaucoup plus directe.
Dominique Rocher : Je venais de terminer un court métrage et j’ai découvert le livre de Pit/Martin. Ce qui m’a plu dans La Nuit a dévoré le monde, c’est ce dont il a peu parlé à l’instant, son rapport conflictuel avec l’humanité, avec la vie à Paris, l’utilisation de l’argument du genre de zombies pour raconter le mal-être en ville. Le côté journal intime, je ne savais pas ce que je pourrais en faire dans un film, l’idée de le reproduire tel quel avec une voix off, je ne trouvais pas ça très intéressant, donc on s’est très vite rendu compte qu’il y avait un vrai travail d’adaptation à faire. L’enjeu, c’était d’utiliser l’image et le son pour raconter ce même sentiment, mais différemment. J’ai rencontré Martin, qui m’a dit que je pouvais me sentir libre dans cette démarche.
MP : Oui, moi, ma théorie, sur les adaptations littéraires, c’est que la fidélité, c’est une connerie ! L’important, c’est qu’il y ait un metteur en scène qui ait une vision, qu’il ait des choses personnelles à reprendre du matériau qu’est pour lui l’œuvre de départ.
Le meilleur exemple, c’est certainement Shining !
MP : Tout à fait ! Stephen King n’est pas content du tout, il trouve que ce n’est pas fidèle, mais Shining, c’est un chef-d’œuvre ! Et Stephen King fait lui-même une adaptation télévisuelle, qui apparemment n’est pas terrible. Je voulais vraiment qu’un cinéaste se réapproprie le roman.
DR : Dans l’adaptation en soi, avec les deux scénaristes, il y a eu plusieurs phases. Une première où on était très libres, où on enlevait des choses qui ne nous plaisaient pas, on en ajoutait. C’est là qu’est apparu le personnage de Denis Lavant, inspiré par Seul au monde. Puis, petit à petit, je suis quand même revenu au livre et à ce qui m’avait vraiment plu à la première lecture.
La séquence d’ouverture est primordiale, car on sent tout de suite la dimension misanthro pe de ce personnage, et en même temps, la question qui est posée, c’est un peu de savoir si on peut être humain quand on est seul, finalement, non ?
DR : Oui, il y a une quête par le personnage de son humanité au cours du film.
MP : Moi, je dirais peut-être ça autrement, c’est plutôt peut-être qu’on ne peut être humain que quand on est seul et qu’on s’est assez libéré de l’humanité. C’est à ce moment-là que le personnage réalise qu’en fait, il avait tissé des liens avec des gens. Il arrive à se connecter à l’humanité alors qu’elle a disparu.
DR : Il pensait être quelqu’un de très seul, et finalement il comprend qu’il ne l’était pas tant que ça.
Sans aller dans la comparaison entre le roman et le film, est-ce qu’il y a eu, en matière d’enjeux, une cassure à un moment donné ?
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DR : Oui, absolument, je pense que c’est le personnage féminin, dont je n’ai pas envie de dire trop de choses. Et puis le personnage de Denis Lavant, qui est un peu une figure paternelle. Il y a beaucoup dans ce personnage. L’enjeu, avec le film, c’était de voir si le personnage est capable de sortir de sa bulle, de s’échapper de lui-même, de sortir de son propre enfermement. L’évolution qu’on voulait pour lui, c’est qu’il essaie d’aller vers les autres. Martin, toi, tu avais un désir différent pour ton personnage. On part d’un même point et plus le film avance, plus nos points s’écartent. D’ailleurs, on a changé le nom du personnage, qui s’appelle Sam alors qu’il s’appelle Antoine dans le livre. C’était une manière d’indiquer qu’il n’est pas mu par le même désir.
Pourquoi avoir choisi Anders Danielsen Lie ? Dans Oslo, 31 août, où beaucoup de gens l’ont découvert, il incarnait aussi un personnage très seul et il était de quasiment tous les plans du film. C’est aussi le cas dans La Nuit a dévoré le monde. Comment s’est passé le casting ?
DR : On savait que quel que soit l’acteur qu’on allait prendre, il allait absorber le film. C’était très compliqué pour moi de choisir. On a discuté de très peu d’acteurs, mais à chaque fois il fallait projeter tout le film dedans. Je ne connaissais pas les films d’Anders, c’est la productrice qui m’en a parlé, du coup je les ai tous vus, Oslo, 31 août, Nouvelle donne, Ce sentiment de l’été… J’ai adoré et j’ai pu projeter le film en lui. Il avait cette mélancolie, ce côté nordique. Je me sens très proche de cet esprit un peu froid qu’il peut dégager. Je l’ai rencontré, je pense qu’il a vu quelque chose dans le scénario qui le touchait de manière assez intime, donc on a passé du temps ensemble et j’ai commencé à réécrire le film. La dernière phase d’écriture a vraiment consisté à essayer d’écrire le film pour lui. On a ajouté énormément d’éléments, on s’est saisi du fait qu’Anders est musicien, qu’il a fait le conservatoire en percussions. Beaucoup de scènes en ont surgi. Les cassettes, aussi, c’était un truc qu’Anders faisait quand il était enfant. Si ça avait été un autre acteur, je pense que j’aurais fait un film complètement différent.
Vous ne tombez pas dans les facilités du genre (le jump scare, par exemple). C’était un parti pris dès le début ?
DR : Je ne travaille pas forcément en réaction, mais clairement, l’idée c’était de trouver un angle particulier au film. A chaque scène, on réfléchissait à ce qu’on pouvait faire pour rester dans le ton du film. On savait qu’on voulait une tension qui se maintienne. Quand on fait sursauter le spectateur, quand on fait “exploser la bombe”, comme disait Hitchcock, d’un coup il n’y a plus de tension, alors que quand on maintient un danger potentiel planant, ça nous aide à rester avec le personnage. J’avais aussi envie de respecter le genre, donc j’avais aussi envie de fournir des scènes qui montrent que c’est un cinéma que j’aime. Je voulais aussi que le film soit français dans tous ses aspects.
La bande-son, qui est un outil primordial dans un travail d’adaptation à partir d’un matériau romanesque, est à la fois omniprésente et assez sobre. Comment avez-vous travaillé sur le son et sur la musique ?
DR : A partir du moment où on a commencé à réfléchir au son du film, on s’est engoufré dans une brèche chose d’énorme. J’ai cherché par exemple l’originalité dans les zombies et l’idée, très rapidement, ça a été d’en faire des monstres silencieux. Pour moi, ils sont morts à l’intérieur, ils ne respirent plus, ils n’ont plus d’organes actifs, donc ils m’émettent pas d’air, donc ils ne font pas de bruit. Ca leur donne un côté unique, je trouve. J’ai des zombies silencieux, un personnage seul qui n’a personne à qui parler, donc chaque bruit dans l’immeuble va créer quelque chose, que ce soit un danger ou l’opportunité d’un espoir. Ensuite, il y a l’aspect musical, où je trouvais intéressant qu’il n’y ait de musique quasiment qu’avec des choeurs. On a donc pris un choeur de femmes, qui donne la sensation d’un résidus d’humanité.
(Re)découvrez la bande-annonce de La Nuit a dévoré le monde, de Dominique Rocher, dans les salles ce mercredi :
La Nuit a dévoré le monde Bande-annonce VF